Je suis intervenu le mercredi 14 février dans le cadre du débat budgétaire de la Région Bretagne, pour demander que les ressources numériques ne remplacent pas les manuels scolaires en papier dans les lycées, comme cela se fait hélas ailleurs. Cette proposition a d’ailleurs été acceptée par la majorité régionale, et le budget de la Région Bretagne précisera donc que « les ressources numériques sont complémentaires des manuels scolaires et n’ont pas vocation à les remplacer. » La vice-présidente aux lycées Isabelle Pellerin a rappelé que pour elle, « le numérique doit être accessible dans les établissements, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la pédagogie. »
A l’occasion de cette intervention, j’ai lu un texte rédigé par une collègue enseignante en Île-de-France, qui raconte concrètement l’enseignement en tout-numérique (enfin, en théorie!). J’ai dû couper plusieurs passages du texte pour tenir le temps de parole lors de mon intervention, mais voici son témoignage in extenso:
« Jeune professeur d’histoire-géographie, fraîchement agrégée, j’ai été affectée pour ma première année dans un lycée huppé des Yvelines. A l’été, pour préparer mes cours, je me renseigne sur le manuel scolaire dont disposent mes élèves. En effet, ma discipline s’enseigne, en majeure partie, sur la base de documents : des textes, des images, des cartes, des graphiques que les manuels présentent en couleur, dans l’ordre du programme. Ce n’est certes pas toujours la panacée, mais c’est bien utile pour les jeunes professeurs qui doivent créer des cours ex-nihilo.
Je découvre alors qu’il n’y a plus de manuels papier dans l’académie de Versailles. Valérie Pécresse, présidente de la région, a mis en œuvre une vaste politique visant à équiper chaque lycéen d’un ordinateur portable. Mais, me rassure un collègue, pas d’inquiétude : des manuels numériques sont disponibles en ligne, et le lycée est équipé d’un bon réseau wifi. De quoi avoir accès à toutes sortes de ressources, tout en réduisant le budget des photocopies !
Quoique inexpérimentée, je me méfie. En 2004, collégienne en Ille-et-Vilaine, j’avais bénéficié de l’opération « ordi 35 » : la distribution à tous les élèves de 4e d’ordinateurs portables. Je conserve des souvenirs espiègles des cours de ceux de nos professeurs qui avaient accepté que nous utilisions nos PC en classe. Mes scores dans Baldur’s Gate (première édition du jeu) en avaient grassement profité.
Cinq mois plus tard, mon opinion est faite : que n’avons-nous de bons vieux manuels papier ! Quand nous étudions des textes, je les imprime. Travailler vraiment un texte, de toutes façons, implique de le gribouiller. Quand les documents à l’étude nécessitent la couleur, je les dépose dans l’espace numérique du lycée ; les élèves y ont accès sur leur PC…mais s’ouvre alors une vaste série de complications.
Il y a les élèves qui n’ont pas leur ordinateur (« il est lourd ! »). Il y a les élèves qui l’ont, mais il ne fonctionne pas : le matériel étant d’assez piètre qualité, les ordinateurs sont régulièrement en panne, englués dans d’interminables mises à jour, ou simplement déchargés. La question récurrente : « madame, je peux le mettre à charger ? » appelle la même sempiternelle réponse : « non, il n’y a pas de prise ». En effet, les salles de classe d’un lycée construit dans les années 1970 ne sont pas prévues pour trente-cinq élèves équipés d’ordinateurs.
Et puis il y a, bien sûr, la tentation de faire autre chose. Quand je surprends un élève en train de dédaigner mon cours pour autre chose sur son ordinateur (vidéo, jeu, réseau social : la liste est longue), je hausse le ton, je punis. Avec un léger sentiment d’hypocrisie : beaucoup d’adultes, coincés dans une conférence où ils n’auraient pas choisi de venir et avec un PC à leur disposition, ne feraient pas différemment. A l’issue du conseil de classe de décembre, alors que la déconcentration des élèves a fait l’objet de nombreuses remarques, les professeurs principaux de mes classes de 2nde ont recommandé la solution suivante : l’ordinateur, il faut l’utiliser le moins possible…et privilégier les photocopies (celles, donc, que les ordinateurs devaient permettre de réduire).
Des arguments en faveur de ces équipements, il en existe : réduire les inégalités sociales et la fracture numérique. Faut-il pour autant en équiper tous les élèves, y compris les plus favorisés ? Faut-il privilégier le numérique au papier en cours, alors que tout le monde s’accorde à trouver que nos adolescents passent trop de temps devant des écrans ? Dans un contexte de crise climatique, faut-il vraiment favoriser l’importation massive de ces PC bon marché (« assemblés en Chine », précise la notice), dont la durée de vie sera courte ?
J’en ai moi-même reçu un. Surprise, quand vous l’ouvrez pour la première fois, une vidéo de Mme Pécresse se met automatiquement en marche, vantant son action. Contre un ordinateur, les jeunes peuvent bien supporter un peu de propagande ! »

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