
Image: extrait de l’étude https://news.airbnb.com/wp-content/uploads/sites/4/2023/11/Strategy-Airbnb-Etude-dimpacts-de-la-location-courte-duree-en-France-Exec-Sum-OK.pdf
On entend beaucoup dire en ce moment que les locations de meublés touristiques, de type AirBNB, concerneraient 40 fois moins de logements que les logements vacants. C’est évidemment une manière de minimiser le problème et d’attirer l’attention ailleurs. En plus des lobbyistes du secteur de la location de meublés touristiques, on a pu entendre une belle illustration de cet élément de langage dans le discours de Virginie d’Orsanne, membre du groupe Rassemblement national, lors de la session du Conseil régional de Bretagne, le 14 décembre 2023: https://secure.synople.tv/site/CR_Bretagne/2023/231214_CRB_session_VO.php (8:42:38).
Un passage en particulier vaut la peine d’être cité: « À propos des locations saisonnières de courte durée, je rappellerai plusieurs choses. Il y a quarante fois plus de logements vacants que de locations meublées touristiques, raison pour laquelle nous estimons que la première priorité est l’aide à la rénovation. Seulement 8% des meublés sont loués de façon intensive, et enfin 92% des petits propriétaires qui louent leur résidence principale ou secondaire le font à titre accessoire pour payer leurs charges ».
Il y a beaucoup à dire sur cet enchaînement de contre-vérités, qui « justifie » notamment le vote du RN contre l’augmentation de la fiscalité sur les locations de courte durée.
Pour commencer, d’où vient le chiffre-clé cité au début? On le trouve aussi cité sur une page d’Airbnb, mais avec des astérisques qui signalent qu’en fait c’est plus compliqué : https://news.airbnb.com/fr/airbnb-souhaite-aider-davantage-de-villes-a-se-saisir-des-reglementations/
Allons donc voir le document-source: https://news.airbnb.com/wp-content/uploads/sites/4/2023/11/Strategy-Airbnb-Etude-dimpacts-de-la-location-courte-duree-en-France-Exec-Sum-OK.pdf
L’étude cherche à faire passer l’idée selon laquelle les logements vacants et le manque de construction sont les causes majeures de la crise du logement. Il y a en effet environ 3 millions de logements vacants en France, de quoi loger théoriquement environ 6 millions de personnes. L’étude admet aussi que la transformation de résidences principales en résidences secondaires est une cause importante de la tension sur le marché immobilier: étrangement, cette partie de l’étude n’est pas du tout mise en avant par l’élue d’extrême-droite Virginie d’Orsanne… mais revenons à nos moutons.
Et les meublés de tourisme, donc? La page 10 nous annonce, en titre, que « les meublés de tourisme sont un million en France ». On aimerait donc offrir une calculette à Madame d’Orsanne, ou une inscription en CP: 1 pour 3, cela ne fait pas quarante fois moins.
Mais alors où est la manip? Comment passe-ton de trois fois moins à 40 fois moins? Après tout, l’extrême-droite n’est pas la seule à répandre cette statistique totalement fausse. On comprend à la lecture que pour arriver à « 40 fois moins », il faut ne compter comme « location meublée touristique » qu’une partie des logements concernés; afin de ne pas mentir franchement, les auteurs de l’étude font la distinction entre « locations de meublés touristiques » et « logements dédiés à la location meublée ». Autant dire que les élus d’extrême-droite qui diffusent le message oublient vite la distinction.
La première étape du processus pourrait s’entendre. Les auteurs décomptent les locations de meublés touristiques qui se font dans la résidence principale du propriétaire. Ce n’est pas illogique, puisque dans ce cas, arrêter ces locations ne remettrait pas un logement sur le marché de la résidence principale. Mais puisqu’on compare avec les logements vacants, il faudrait aussi retirer du décompte les logements vacants qui ne pourraient pas servir de résidence principale, soit parce qu’ils sont en trop mauvais état, soit parce qu’ils se trouvent dans des zones où l’offre de résidences principales est supérieure à la demande (les territoires en déclin démographique). Or c’est bien là qu’on trouve les taux les plus élevés de logements vacants… Si l’on s’en tient aux meublés de tourisme facilement transformables en résidences principales, il faut aussi s’en tenir aux logements vacants facilement mobilisables pour loger des personnes là où le besoin existe, faute de quoi la comparaison est vide de sens. Reste qu’on pourrait effectivement parler d’environ 500 000 logements en location meublée hors résidence principale.
Mais la manipulation va plus loin : les lobbyistes et leurs alliés du RN décomptent aussi les résidences secondaires louées en LCD moins de trois mois dans l’année ! Or, ce coctkail (villégiature + LCD) est le carburant de la croissance récente du parc de résidences secondaires, et concourt très directement à l’attrition du parc de résidences principales, en rendant beaucoup plus attractif, facile, voire rentable, l’achat d’une résidence secondaire.

(image extrait du site de promotion des résidences secondaires de la Caisse d’Epargne https://www.immo-utile.fr/trouver/louer/louer-efficacement-sa-residence-secondaire/ )
C’est ainsi qu’on obtient cette donnée aberrante de « 40 fois plus de logements vacants que de locations de meublés touristiques », donnée factuellemment fausse qui ne sert qu’à essayer de protéger les multipropriétaires et spéculateurs. Et la durée inférieure à trois mois ne doit pas faire illusion: sur certains territoires, deux mois et demi de LCD valent bien une année de location classique.
Logiquement, continuant sur sa lancée, Madame d’Orsanne défend le vote du RN à l’Assemblée nationale, qui s’est opposé à toute hausse de fiscalité sur les locations de type AirBNB, au nom de la « défense des petits propriétaires ». On croit rêver, car c’est justement à cause des multipropriétaires de résidences secondaires et de logements en location touristique que des dizaines de milliers de Bretons ne peuvent plus accéder à la propriété !
L’ordre dans lequel Madame d’Orsanne présente les données de l’étude fait croire qu’il y a quarante fois moins de locations de meublés touristique que de logements vacants, et qu’en plus 92% des meublés touristiques seraient mis en locations par des petits propriétaires, pour payer leurs charges (lesquelles?). En fait, c’est bien en décomptant 92% des locations de meublés touristiques qu’on arrive à « 40 fois moins » que de logements vacants, ce qui comme on l’a vu plus haut est une énorme manipulation. Mais d’où vient l’idée avancée par Madame d’Orsanne selon laquelle les 92% indûment retirés du décompte seraient de « petits propriétaires »?
Apparemment, de nulle part. Et pour cause, si cela était vrai, alors quasiment toutes les locations de meublés touristiques seraient le fait de petits propriétaires. La chose est improbable… En fait, il semble que la conseillère d’extrême-droite ait tout simplement inventé cette idée. Signalons déjà que sur ces 92%, 44% sont des résidences secondaires. Or on sait que la majorité des propriétaires de résidences secondaires ne sont pas des « petits » propriétaires, mais que cette catégorie est en moyenne plus riche que le reste de la population.
Rien ne dit non plus que ces 92% de propriétaires de « meublés de tourisme » le font pour « payer leurs charges ». L’étude parle de logement loués « comme complément de revenu ou pour payer leurs charges », ce qui en fait ne veut rien dire, si ce n’est que ces logements rapportent de l’argent à leurs propriétaires. Un peu plus loin, on nous donne des informations sur les réponses des propriétaires: si certains citent effectivement des travaux de rénovation, la majorité des réponses correspond à l’item « préserver mon pouvoir d’achat » (la réponse « augmenter mes revenus » n’était étrangement pas proposée!). Beaucoup répondent aussi vouloir « rembourser un crédit immobilier » et pour « investir dans un autre logement »: on sait en effet que la LCD est une des stratégies d’optimisation pour les multipropriétaires débutants, y compris pour des personnes choisissant d’arrêter de travailler pour devenir rentiers.
C’est bien cette catégorie de la population que le RN défend, malgré tous ses discours sur les « petits propriétaires ».

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