Comment faire avec moins d’eau?

Chères / Chers collègues,

L’année scolaire finissant, je vous parlerai à la fin de mon discours des vacances. Mais avant cela, quelques mots sur le programme d’histoire. Certains peut-être se souviennent de leurs cours de sixième ; mais que les autres se rassurent, il n’y aura pas d’interro à la fin. Un des charmes du programme de sixième, c’est qu’on peut y travailler le temps long de la préhistoire humaine. Vous penserez sans à la grotte de Lascaux. Je vais pourtant vous parler de celles du Sahara. On y trouve en effet des peintures rupestres u néolithique, représentant des chasseurs et du gibier dans un paysage verdoyant. Le Sahara, il y a quelques millénaires, était une savane grouillante de vie.

C’est bien la preuve, diront certains, que le climat a toujours changé. Certes. Mais à la fin du Néolithique, il a changé assez lentement pour que les populations s’adaptent. Les peuples du Sahara ne se sont pas trouvés privés d’eau du jour au lendemain. Au fil des siècles, ils ont eu le temps d’adapter leur mode de vie, leurs parcours, leur démographie, à l’aridité. La civilisation égyptienne autour du Nil est sans doute née de cette mutation.

Nous n’aurons pas leur chance. Nous sommes condamnés à vivre des changements d’une ampleur comparable, mais en l’espace d’une vie humaine. Nous ne pouvons modifier insensiblement nos pratiques, par petits ajustements successifs. La spécificité du réchauffement d’origine anthropique, c’est sa vitesse.

La Bretagne n’échappera pas à la sécheresse. Peut-être sera-t-elle moins touchée que d’autres de façon directe. Mais en fin de compte, nous subirons les conséquences de l’aridification des autres territoires, du fait des migrations climatiques, du fait aussi de la déstabilisation des productions agricoles qui modifiera les équilibres commerciaux. Il va nous falloir vivre avec moins d’eau. Et il va nous falloir procéder à des arbitrages collectifs, aussi difficiles qu’indispensables. 

Soyons clairs. Face à cet enjeu, il est illusoire de dire que nous pourrons à la fois réindustrialiser, accueillir des centaines de milliers de nouveaux arrivants, maintenir ou développer la fréquentation touristique, et continuer à exporter de quoi nourrir six fois l’équivalent de la population bretonne. Boucher des fuites et responsabiliser le consommateur n’est pas une réponse suffisante, même s’il faut prendre tout ce qui va dans le sens de la sobriété. 70 % de la consommation d’eau sert à la production économique, selon l’économiste Esther Crauser-Delbourg. C’est bien là qu’il faut faire les arbitrages stratégiques.

Prenons l’exemple de l’élevage porcin hors-sol. Mettre fin à ce mode d’élevage nous permettrait d’économiser de l’eau, mais aussi de réduire fortement la pollution des cours d’eau par excès d’azote. Nous gagnerions à la fois sur la quantité et la qualité. Nous réduirions en même temps nos émissions de gaz à effet de serre et nos importations d’aliments animaux.

Autre production intensive en eau, le maïs. Arrêter la culture du maïs, comme le préconise André Pochon, ancien éleveur bovin, fils et petit-fils de paysans, cela permettrait également de gagner sur deux tableaux : moins d’eau pompée du sol, et moins de pesticides dans l’eau. Nous gagnerions là-aussi sur la qualité et sur la quantité. Bien sûr, cela veut dire revoir l’alimentation du bétail, en particulier des bovins. Cela impliquerait de réduire les volumes, mais aussi de revenir à un élevage à l’herbe, sur prairies permanentes, si précieux pour le bocage et la biodiversité.

Mais me direz-vous, quid de la sécurité alimentaire si la Bretagne produit demain moins de nourriture ? Je vous répondrai que nous avons de la marge. Même en divisant par trois notre production de protéines animales, comme le propose Gwenael Henry dans le Nouveau projet alter breton, nous aurions encore de quoi subvenir aux besoins de la Bretagne, et même de quoi exporter des protéines animales pour l’équivalent de toute la population bretonne. Je vous répondrai aussi que notre autonomie alimentaire actuelle est illusoire. La production bretonne intensive repose largement sur l’importation d’aliments pour le bétail.  Désintensifier le modèle agricole, c’est aussi réduire notre dépendance à ces importations. Là est, à notre avis, la vraie sécurité alimentaire. C’est aussi une mesure de solidarité internationale, car la consommation végétale de notre élevage intensif réduit les ressources disponibles pour la consommation humaine, et pousse à la déforestation.

En 2023, les petits paysans nourrissent 70 % de la population mondiale. C’est la FAO, l’agence des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation, qui le dit. C’est ce modèle agricole-là qu’il faut protéger et renforcer, ici comme ailleurs, et notamment en Afrique. Car les réfugiés climatiques viennent de pays qui ont peu de responsabilité dans le changement climatique mais en subissent les premiers les conséquences gravissimes. Un changement climatique dont certains en France continuent à nier la réalité. Or, ce sont les mêmes qui dénoncent des vagues migratoires venues du Sud. Si la vie politique était un tant soit peu rationnelle, cette incohérence totale devrait disqualifier leur discours.

Autre domaine d’arbitrage nécessaire : le tourisme. Nul n’ignore que les pics de fréquentation estivaux mettent à rude épreuve la ressource en eau. Osons le dire, il y a parfois, à certains moments, à certains endroits, trop de touristes. Dire cela, ce n’est pas être anti-tourisme, mais assumer que toute activité humaine doit se voir fixer des limites. L’exemple de la pêche le montre bien : les quotas permettent la préservation des espèces, mais ils permettent aussi la préservation de l’activité elle-même. Après les quotas de poisson, on expérimentera bientôt à Bréhat les quotas de touristes. Le principe est bon, reste à voir si l’application sera satisfaisante, et il faudra une approche globale car le problème du tourisme ne tient pas seulement au nombre de touristes. La question est aussi celle de l’intégration du tourisme dans la société.

J’ai récemment entendu dire, du côté de Douarnenez, que la Bretagne ne pourrait pas accueillir toute la richesse du monde. Il y a là, je crois, matière à méditer sur ce que nous entendons par une Bretagne accueillante. A Breizh a-gleiz nous disons oui à une Bretagne accueillante aux femmes et aux hommes qui fuient la misère et la guerre, oui, elles et ils sont les bienvenus, de Callac à Saint-Brévin. Oui aussi à toutes celles et tous ceux qui veulent venir vivre en Bretagne, y revenir, y rester tout simplement. Et oui à ceux qui veulent la visiter, en fixant des limites, des règles, pour que les loisirs des uns ne soient pas le malheur des autres.

Alors que l’été est à nos portes, je vous propose d’avoir une pensée pour les milliers de personnes qui vont devoir quitter leur logement et faire place nette aux touristes en location de courte durée. La Bretagne a su par le passé accueillir les visiteurs sans mettre son peuple à la porte, comme elle a su se nourrir sans empoisonner son eau. J’espère qu’elle le pourra encore à l’avenir. L’heure des choix, c’est maintenant ! Assumons-les tant qu’il nous reste une goutte d’espoir.

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